Biographie

Shimazaki Toson   Shimazaki Toson est né en 1872 dans une très honorable famille provinciale. Son père était un prètre shintoïste. Il fit ses études à l'école protestante Meijigakuïn de Tokyo. Poète et écrivain, il devint rapidement le chef de file du courant naturaliste japonais.

En 1913, pour une affaire d'honneur, il dut quitter son pays. Au début de la première guerre mondiale, il résidait à Paris. Sa logeuse, devant l'avancée des armées allemandes, lui conseilla de se réfugier dans sa famille, à Limoges, en compagnie de quelques peintres dont Masamuné Tokasuburô. Shimazaki Toson décrivit, dans "l'Etranger", la ville en partageant d'un coeur généreux les sentiments et les angoisses de ses habitants en ce début de guerre. Il témoigna du soulagement, voire d'un vrai apaisement, que son séjour limougeaud lui procura après la crise qu'il avait vécue.Rentré au Japon, il publia son chef d'oeuvre, Yoakémaé, "Avant l'aube". Mort en 1943, il demeure l'un des tout premiers écrivains japonais, toujours très populaire dans son pays, surtout parmi les femmes.


Shimazaki Tozon
L’étranger

1914

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Alors que, le lendemain, je contemplais la tour de la cathédrale Saint-Etienne de la fenêtre de ma chambre, j’entendis avec surprise le chant d’un coq… Dans la brume matinale, le son du clairon d’une caserne parvint jusqu’à mes oreilles.

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  De la fenêtre, j’apercevais le chemin de Babylone à travers les treilles que recouvraient les sarments. Sur la colline, la prairie s’étendait jusqu’au bord de la rue et il arrivait que se reflètent, dans les vitres de la fenêtre derrière laquelle j’écrivais, les têtes des vaches qui s’avançaient jusqu’au bout du rocher rouge.

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Sur la rive opposée… sur le terrain en pente, on entrevoyait, à travers les arbres, des maisons rustiques alignées, ainsi que des jardins cultivées.

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  Certains jours, le murmure de la Vienne parvenait jusqu’à la prairie située à gauche du chemin de Babylone. C’est de ce lieu là, et plus précisément de la petite colline qui s’élève en cet endroit, qu’un jour, nous avons aperçu des montagnes dans le lointain… De là, on voyait trois églises anciennes ; la plus proche, à notre droite, sur l’autre rive de la Vienne, était la cathédrale Saint-Etienne ; au centre, plus loin, il y avait l’église Saint-Pierre et, sur sa gauche, l’église Saint-Michel.

Vue de Babylone
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  L’église Saint-Etienne est une immense cathédrale en pierre. La chapelle qui se trouve au détour de la rue en pente conduisant à la cathédrale m’a rappelé que nous étions dans un pays catholique… A côté de cette chapelle, une vieille femme ridée, le dos voûté, vendait de grands cierges. Au pied de la statue de Marie, on avait déposé des cierges et des fleurs. De façon très surprenante, il s’agissait de lotus artificiels, dont les feuilles et les pétales de couleur or et argent ont suscité en moi l’impression que j’étais dans un temple bouddhique. Sous la lueur vacillante des cierges placés devant l’autel, nous avons vu une jeune fille, vêtue d’une robe noire, qui priait, agenouillée sur une marche en pierre. Peut-être priait-elle pour le retour de son fiancé partit pour le front.

Chapelle
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.A deux pas de notre logement, des vaches paissaient. Des fermières chaussées de sabots suivaient une charrette que tiraient deux bœufs. La rosée matinale humectait les feuilles de la vigne et des gens âgés labouraient péniblement, en pensant sans doute à leurs fils au front.

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  Près du Pont-Neuf, il y avait un petit café sans prétention, à l’enseigne du Comptoir… Chaque fois que mes pas me conduisaient en cet endroit, le fils des patrons courait vers moi pour me serrer la main. Même lorsque cet enfant jouait en compagnie de petits camarades au pied des arbres, il ne manquait pas de venir à la hâte me saluer.

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  Je suis descendu sous le pont. Là, on entendait d’habitude le bruit du linge que l’on battait, mais, ce jour-là, les lavandières n’étaient pas nombreuses… Sur la rive, entre les platanes aux feuilles jaunies et l’endroit où l’on faisait sécher le linge, je contemplais les enfants du quartier qui jouaient. L’envie me prit de faire des ricochets devant un enfant. La pierre plate et bien lisse que j’avais ramassée et lancée a rebondi jusqu’au milieu de la rivière. En l’apercevant, les enfants se sont approchés de moi et m’ont demandé de leur apprendre à faire de tels ricochets. Parmi eux, certains apportaient des pierres rondes ramassées sur la rive ; d’autres essayaient de lancer des cailloux. Tout le monde s’amusait.

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Les lavandières

A mes oreilles attentives parvenait confusément, du fond de la vallée, le bruit sourd de la Vienne qui coulait.

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Shimazaki Toson

Lettres de France

1914

  Je me trouve à l’orée de la cité, en un lieu qu’entourent de nombreuses prairies et des champs. Tout est beaucoup plus rustique que je ne l’imaginais.

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 Le Pont-Neuf est un grand pont en pierre qui se dresse entre mon quartier et le centre de la ville. Sous ce pont coule la Vienne.

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Je vais dire adieu à la prairie où je me suis si souvent assis, aux toits rouges et aux immeubles serrés de l’autre rive, ainsi qu’à la tour élevée de la cathédrale Saint-Etienne, qui semble dominer la ville de Limoges dans son ensemble. Je n’aurai plus jamais le bonheur de les revoir.

Pont Neuf
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Visitez le Mémorial Shimazaki Toson sur le site japonais www.cnet-kiso.ne.jp/t/toson

 

"La noix de coco", un poème où, dès 1904, Shimazaki Toson décrit les sentiments de l'exilé loin de sa patrie.